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L'interview d'  enfantillages ! 

grégoire solotareff

portrait Grégoire Solotareff

Crédit photo Challenges

Livres de l'invité
Loulou & Cie
Grégoire SOLOTAREFF est auteur, plasticien, éditeur et, par trois fois, réalisateur.  Il a écrit pour les enfants plus de 150 livres traduits dans le monde entier. Loulou, l’incroyable secret, qu’il a coréalisé, a reçu en 2014 le César du meilleur film d'animation.
2019 est pour Grégoire SOLOTAREFF l’année d’un double anniversaire. Loulou souffle ses 30 bougies. Ce game-changer vif, coloré, percutant a dynamité le graphisme convenu des livres pour enfants. Vendu à plus d’un million d’exemplaires, il a donné son nom à Loulou & Cie, la collection que Grégoire SOLOTAREFF dirige à l’Ecole des Loisirs, et qui fête ses 25 ans.

La rencontre a eu lieu dans son vaste et bel atelier à deux pas de l’Arsenal, entre sculptures et toiles de son fantastique bestiaire. 

Médecin dans une première vie, comme son père, il devient, à 30 ans, expert en sorcières et auteur pour enfants, comme sa mère Olga Lecaye et sa sœur Nadja, l’auteure du sublime Chien bleu. Travailleur acharné et rapide, ce gentleman d’ascendance russe et libanaise, adepte des classiques - Perrault qu’il réinventa dans de savoureux Anticontes, et La Fontaine, maître du style - cultive une légèreté toute française et une virtuose maladresse.

« Il faut, disait Aristote, jouer pour devenir sérieux ». Encre, aquarelle, gouache, ordi, Grégoire SOLOTAREFF joue sur Instagram à partager avec nous son œuvre du moment.

Grégoire Solotareff, quel enfant lecteur étiez-vous ?

 

J’ai eu beaucoup de mal à lire. Je me souviens de mon manuel de lecture. Il s’appelait La Lecture en riant et c’était horrible. Pour moi, c’était un cauchemar. Rires.

En riant, ce n’était pas du tout le cas !

 

Pas du tout !

 

C’était en pleurant !

 

Oui, oui. C’était en pleurant. Ce manuel, je le revois encore parfaitement, avec des images sinistres ! Une fois passé ce stade obligatoire de l'apprentissage de la lecture, j’ai lu pas mal parce qu’on lisait beaucoup dans la famille. J’ai assez rapidement lu plus de récits que de contes. Robinson Crusoé, dans une version illustrée très joliment, du XIXe, assez simplifiée par rapport au texte original évidemment. La Fontaine, beaucoup, les Fables.

Vous avez d’abord été médecin comme votre père, puis illustrateur comme votre mère, et c’est pour votre fils que vous avez commencé à dessiner des images pour les histoires que vous lui racontiez ?

C'est ça. C’était bien avant que j’en fasse un métier. En lui lisant des histoires, je lui faisais des croquis et ça lui plaisait beaucoup. J’ai rencontré Alain Le Saux, un grand auteur, qui m’a dit : « tu devrais essayer d’en faire des livres, ça serait intéressant ».

Pardonnez-moi l’aspect petit bourgeois de ma question mais comment quitte-t-on un métier aussi valorisé socialement que celui de médecin pour embrasser la carrière de quasi saltimbanque d’auteur-illustrateur ?

Quand on est fils de médecin, petit-fils et arrière-petit-fils de médecin, ce n’est pas valorisant. C’est un métier comme un autre. Moi j’ai choisi très jeune ce métier de médecin. Très très jeune:  j’avais trois-quatre ans.  C’était plutôt une idée fixe. C’était un peu absurde. Et puis, j’ai commencé à réfléchir vers trente ans - ce qui n’est pas trop tard pour un garçon, paraît-il - et là, je me suis dit que ce n’était pas ma vie. J’ai réfléchi assez longuement et puis j’ai décidé du jour au lendemain d’arrêter.

Vous apparteniez du côté maternel à une dynastie d’illustrateurs puisqu’il y a votre mère Olga Lecaye, suivie, à la même génération de vous-même, de votre sœur Nadja et de votre frère Alexis Lecaye qui est auteur et scénariste et puis, la nouvelle génération, avec votre neveu Raphaël Fejtö qui est auteur, acteur, réalisateur. Alors, quel est donc ce gène qui se transmet ?

Et mon fils aussi cette année ! Ce n’est pas un gène évidemment, c’est une culture. Il y a des familles de musiciens, il y a des familles de dessinateurs. Ils nous ont trouvés assez heureux dans notre métier.  Ils ont eu envie en faisant différentes choses de toucher à ça. C’est l’univers de leur enfance aussi. Des parents, des grands-parents, des oncles et des tantes qui dessinent… C’était assez naturel. Moi, mon fils y est venu après un détour vers le scénario de cinéma.  On continue à écrire ensemble d’ailleurs. Il a publié un livre qui vient de paraître. C’est une sorte d’imagier qui s’appelle Les Mots peints, des mots qui sont plutôt abstraits et qui sont illustrés.

Vous nous parliez de votre rapport plutôt douloureux avec l’apprentissage de la lecture. Vous avez fréquenté l’école tardivement, vers onze-douze ans, vers la cinquième ?

Oui, c’est ça.

C’est votre maman qui vous faisait l’école à la maison. C’est comment d’être un enfant comme ça, avec une mère illustratrice ? Elle était déjà illustratrice dans votre enfance ?

Oui, elle illustrait pour les journaux. Elle avait illustré, plus jeune, des livres. Elle

peignait beaucoup surtout. Comment c’est ? Je n’ai pas d’expérience autre, donc je ne peux pas vous dire ! C’est beaucoup de temps libre, c’est-à-dire à dessiner. C’était en Orient. C’était au Liban. C’était aussi un peu à la campagne dans la banlieue ouest. Des cours par correspondance, quand on est jeune, qui sont réglés en deux-trois heures dans la journée. Donc on avait le reste du temps pour faire ce qu’on avait envie de faire. On était relativement isolés, on avait beaucoup de temps pour dessiner. Ma mère nous faisait des livres familiaux, des textes et des illustrations.

Vous dites ça comme si c’était banal mais c’est incroyable, la chance que vous aviez…

Non, c’est évidemment assez rare mais en même temps, c’est naturel quand on raconte des histoires et qu’on sait dessiner.

Vous avez passé une partie de votre enfance en Egypte et au Liban. Est-ce qu’il reste quelque chose dans votre art de cette petite enfance orientale ?

Il en reste des couleurs. Il en reste des souvenirs de paysages.

Vous êtes aussi d’ascendance russe. Il y a une part slave dans ce que vous faites ?

Oui. Probablement. On trouve dans ce que nous racontait ma mère une dimension assez romanesque, surtout la Révolution. C’était vraiment la caricature de la famille russe ! Mon grand-père avait une grande maison à Soisson qui accueillait nécessairement la famille et les amis émigrés qui débarquaient après la guerre de 14 dans des conditions épouvantables. Ils venaient passer deux jours à la maison et ils y  restaient quatre ans ! Rires.

Enfant, vous avez baigné dans ces musicalités ? On parlait russe ?

Mon père ne parlait pas russe donc ma mère nous parlait russe quand il était à son cabinet et français quand il était là. C’étaient des arabes francophones depuis longtemps. Mes parents se sont rencontrés en Egypte mais dans un milieu tout à fait francophone.

Alain Le Saux a été votre initiateur ou c’est juste la personne qui vous a dit « allez, vas-y !  » ?

Je l’ai rencontré quand j’étais encore médecin. Il m’avait encouragé mais en étant sans pitié sur ce que je faisais. Il me poussait quand même à y aller, à oser : « Quand on sait dessiner, on dessine, on y va. Et quand on veut en faire sa vie, il faut foncer, on n'a pas de temps à perdre. »

C’était aussi clair que ça en vous à trente ans, « c’est ma vie » ?

Oui. A partir du moment où j’avais déjà abandonné la médecine, il ne me restait pas un énorme choix. J’étais déjà assez vieux, j’avais trente-trois ans, pour commencer une carrière, pour en vivre. Ça devenait urgent. Il fallait se lancer. Avec la naïveté qu’on a à cet âge-là, j’ai commencé à faire un projet que je lui ai montré. Il m’a dit : « Ecoute, c’est pas bon du tout mais essaye ! Comme le reste est encore pire ».

C’est très encourageant…

Oui. Rires. Il m’a envoyé chez Hatier. J’ai montré un projet qui n’avait absolument rien d’extraordinaire mais qui a été pris et ça a commencé comme ça. La première année, j’ai fait dix livres. Je travaillais vite. Trop vite évidemment.

C’étaient déjà ces couleurs éclatantes, ces grands aplats de couleur, ce cerne noir ? Vous aviez déjà trouvé votre style ?

Ce n’était pas aussi franc. J’avais une espèce d’envie de contrôler tout. Assez rapidement, je me suis rendu compte que c’est quand on ne contrôle pas tout qu’il se passe quelque chose. Et mon premier livre moins contrôlé, c’est Loulou, un livre que j’ai fait au bout de quatre-cinq ans en me disant : « si ce n’est pas bon, je le jette ». On ne se dit pas assez souvent ça quand on dessine. On a l’impression que le moindre dessin gâché, c’est un drame. Rien n’est un drame. On est influencé aussi par des gens qu’on aime et j’aimais particulièrement Tomi Ungerer. Ça c’est l’exemple du type qui ose. Matisse disait : « tout le monde sait dessiner, il suffit d’oser ». Et c’est vrai ! Le don, c’est un caractère. C’est une façon d’oser. Vers sept ans, on a envie – c’est le développement mental normal – de reproduire la réalité. Quand on est déçu et qu’on ne vous encourage pas en disant « effectivement, ton avion, il n’est pas terrible, il ne ressemble pas à un avion », selon son caractère on arrête ou alors on se dit, de façon tout à fait inconsciente, que le dessin, c’est son jardin à soi. On y va et on s’en fiche que ce ne soit pas un avion comme sur les photos.

 

Loulou a fait figure de game-changer, n'est-ce pas ?

Nadja et moi, on a commencé à peu près ensemble. Elle a dessiné beaucoup plus que moi parce que j’ai arrêté pendant mes études de médecine. A un moment donné, elle a fait de son côté Chien bleu, qui est un peu légendaire, et moi j’ai fait Loulou. On a fait tous les deux quelque chose d’assez proche de ce qu’on avait

envie de faire. On a franchi des barrières et on a sorti la même année deux livres assez marquants. A l’Ecole des loisirs, ça faisait une nouvellegénération par rapport à Ungerer, à Philippe Dumas… On est arrivés là-dedans un peu comme des bulldozers. A partir de ce moment-là, je me suis senti plus libre.

 

Loulou est né dans une fulgurance ?

J’avais fini mon livre. J’en parlais à Nadja. Je lui dis : « je ne suis pas content ». Je suis rarement content de mes livres mais là, je me suis dit : « ça ne va pas, ce n’est pas possible ». Elle me répond : «  si ça ne va pas, tu ne le rends pas. Tu en fais un autre. Où est le problème ? ». J’étais vraiment furieux parce que j’avais passé du temps sur ce livre. Je le mets de côté et puis je le refais entièrement d’une traite. Ça a duré une journée. C'était rapide et cohérent. J’étais dans la même humeur. C’est ce que je recherche quand je fais un livre. J’ai donc pu l’apporter à temps chez mon éditeur. J’avais rendez-vous avec Arthur Hubschmid. J’avais un peu peur parce qu’il a la réputation d’être assez dur. Il m’a dit : « Il est bien mais tu n’en vendras pas beaucoup parce qu’il est difficile ».

Alors, là, il s’est trompé.

Beaucoup de livres qui tiennent – ça fait trente ans cette année – ne sont pas fulgurants au départ. Ils s’installent. Au fond, ce sont les enfants qui font le succès d’un livre et non pas les parents. Si on parle aux enfants, ils le savent. Ils sentent quelque chose qui leur plaît. Peut-être une certaine fragilité, peut-être une certaine maladresse vers laquelle ils se sentent attirés parce qu’ils se sentent plus capables de reproduire un dessin comme le vôtre qu’un autre qui serait plus élaboré ? Comme nous on aime bien les faiblesses chez les gens.

Qu'est-ce qu'un bon éditeur ?L’exemple d’un bon éditeur, c’est Arthur Hubschmid, le fondateur de l’Ecole des loisirs qui a pris sa retraite l’année dernière. Il regardait un livre sans rien dire pendant vingt minutes, une demi-heure, alors que ça se lit en trois minutes. Il tournait et retournait les pages, revenait et, une fois qu’il avait saisi ce livre, parlait surtout des défauts, et il avait raison.  Je suis plus rapide. Je ne prends pas de gants pour dire que ça ne va pas. Ça c’est clair. J’ai plusieurs lectures. J’ai une première lecture plus globale, immédiate, qui est une lecture de séduction. On est attiré par le livre ou pas. Un sujet vous parle ou pas. Ça peut être rien, une petite blague, un mot. On ne sait pas pourquoi mais ça marche. Et après, il y a la construction du livre, ses défauts. Les enfants ne sont pas gênés par un livre moche. Ce n’est pas un problème de dessin. Ce n’est pas un problème d’art. Ce n’est pas d’un raffinement extraordinaire parce que le vocabulaire graphique n’est pas infini. Il y a des codes, des

formats, des longueurs qui font qu’en définitive, c’est un objet qu’on construit. La première qualité, c’est « pas déjà vu » ! Il ne faut pas être simplet, il faut être simple. On doit avoir une réflexion synthétique dans le temps imparti pour faire un livre, c’est-à-dire quelques pages.

Vous avez votre œuvre d’artiste à côté.

Je ne suis pas un peintre qui fait des livres pour enfants. Je suis un auteur de livres pour enfants qui fait de la peinture à côté. C’est un art appliqué. Il faut connaître son art mais il faut l’appliquer à un objet commercial. C’est une décision, aussi, dans sa vie, de faire des choses pas graves.

L’insoutenable légèreté de l’être ?

Oui. Quand je fais mes livres aussi bien que quand je les édite, j’ai envie qu’il reste quelque chose  qui soit gai.

Propos recueillis par Florence Dutheil

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voici en  bonus l'interview in extenso de votre héros, sans les coupures des rubriques de  l'émission de radio. 

 

   ENFANTILLAGES !

 

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« Rien n'est

un drame. »

« Les enfants aiment notre maladresse. »

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