La chronique de Rémi dans Enfantillages !

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Mon livre préféré

24 mars 2021

L'Infinuit de Ross MACKENZIE, traduit de l'anglais par Marie LEYMARIE

éditions AUZOU, dès 12 ans.

« Il était un homme taillé dans l’étoffe de la nuit », ses yeux : « deux flaques de ténèbres ». L’homme-oiseau survole l’Ile du Diable, bidonville baigné dans « les relents de mort, de boue et de maladie ». Le ton est donné. Noir, très noir. De quoi refermer le livre aussitôt ? Ce serait se priver d'un palpitant roman, à la fois réaliste et fantastique. Car l’homme-corbeau cannibale de l’ouverture du roman est un ancien djinn « brisé et désespéré », prisonnier d’un sort qui le condamne à satisfaire les desseins les plus atroces d’une foldingue sadique. Cette Mme Hester tient en esclavage une armée de clones, les mages blancs, dont elle a aspiré les âmes et qui produisent à la chaîne des sorts pour soutenir l’effort de guerre et maintenir la domination du royaume d’Argent. Leurs âmes sont consignées, encagées, dans une lugubre salle au plus haut d’une tour. La scène où elle pratique un lifting intégral et instantané est à couper le souffle. Quand elle ne se refait pas une beauté diabolique, elle rêve de dominer le monde. Mais pour cela, il faut que Jack Dombre, son sinistre serviteur z’ailé, mette la main sur un précieux pendentif en forme de larme au dessin naïf, comme tracé par une main d’enfant, un oiseau en plein vol : c’est l’ultime sésame, frêle rempart contre l’horreur absolue, car lui seul aurait le pouvoir, entre des mains malintentionnées, de « plonger le monde dans des ténèbres éternelles », en libérant l’Infinuit du titre des Enfers. Rien que ça !

C’est ici que Larabelle Goupil, glaneuse de son état, entre dans le champ : l’orpheline de treize ans à la peau brune squatte le grenier de l’Opéra et passe sa vie dans les égoûts. Elle en connaît par cœur le moindre recoin, « comme un enfant connaît par cœur chaque phrase d’une comptine ». Un ciré, des bottes et une lampe à souffle-de-dragon à la main, la voici équipée pour traquer tout ce qui brille, pièce de monnaie ou bijou égaré, et tenter de le revendre à vil prix aux vieux Hans, vrai receleur et faux gentil qui prospère sur la misère des enfants des rues. Survivre dans les bas-fonds exige courage, jugeote et habileté, ainsi qu’« un certain sens de l’honneur et un respect tacite entre ceux qui risqu[e]nt leur vie pour récupérer les objets perdus sous la terre ». Sauf que certains caïds enfreignent ces règles et terrorisent les plus faibles. Mais à sa plus grande surprise, alors qu'une bande de biffins sans foi ni loi rackette Joe Petitpied, Lara se découvre des pouvoirs surnaturels : elle songe à d’anciennes légendes où des rats viendraient à la rescousse du petit gavroche. Et là, comme par magie, comme dans le Joueur de flûte de Hamelin qui débarrasse la ville des rongeurs porteurs de peste, son rêve se réalise. Lara sent son pendentif vibrer au moment où des centaines de rats apparaissent et chassent les agresseurs. Une vieillarde amnésique confirme bientôt à l'ado qu’elle est l’élue. Elle lui prédit son avenir en lisant des feuilles de thé : si la magie se révèle à elle, c’est parce qu’elle est sur le point de quitter l’enfance. Le message de la chiromancienne est sybillin : grâce à un oiseau mécanique aux yeux de saphir, il lui faudra lutter contre la folle au faux visage et son noir serviteur, prêts à libérer une nuit sans fin, peuplée de monstres terrifiants et sauvages, la peau tatouée de magie noire, qui tuent quand ils ne zombifient pas leurs ennemis.

Tension, suspense ! L’Infinuit est un page-turner, un piège à lecteurs mais il amorce aussi de profondes réflexions sur le Bien et le Mal, sur la liberté et la servitude volontaire, et sur la peur comme instrument de pouvoir.

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