Imaginez l’angoisse : vous êtes attablé dans votre bar habituel, vous appelez le barman pour commander votre cocktail violet préféré, celui avec les petits anneaux de vitamines qui pétillent, et le barman vous ignore. Idem quand vous rentrez  chez vous, enfin quand  vous tentez de le faire. La reconnaissance faciale échoue et le gardien de l’immeuble ne vous a jamais vu ! Bref, aux yeux des autres, vous êtes devenu invisible ! Ce cauchemar, c’est celui que vit l’héroïne et narratrice du roman de science-fiction Je n’existe plus. Il faut dire qu’Armance Fredrixen l’a un peu cherché, en devenant le premier cobaye des laboratoires Marzolf, pionniers de la recherche croisée entre génétique et généalogie. Pour le dire simplement, ses hommes de l’art peuvent voir ta généalogie dans ton organisme.  Armance, la crac en maths et son associé Al sont des sortes de super détectives de l’espace-temps. Alors, forcément, abolir les frontières entre l’ici et l’ailleurs, le présent et le passé, c’était tentant ! Une poignée de chromosomes et hop, la machine à remonter le temps des laboratoires Marzolf, « une espèce sarcophage un peu phosphorescent » s’enclenche. C’est le flashback assuré, de parents à grands-parents et ainsi de suite. A son associé éberlué, Armance explique : « tu sais très bien que plus on se vante d’être tourné vers l’avenir, plus on a la nostalgie du passé ».

On est 3300 ans après notre époque et les habitants des dix-huit mondes, sans compter les annexes, ont un sport favori : être celui qui a l’ancêtre le plus ancien. Franz Armstrong 64 est jusqu’ici le champion toutes catégories puisqu’il s’enorgueillit d’être l’arrière arrière arrière etc petit-fils du célèbre astronaute américain du même nom, le premier homme à avoir posé un pied sur la Lune. Armance, elle, n’a pas de « croisés de l’espace » dans son arbre généalogique mais elle a de quoi clouer le bec aux prétendants aristos des temps futurs. Car, de la branche, elle en a : elle est la descendante d’un « authentique prince de Terra » du XVIIe siècle, Frédéric von Hüscher. Seul hic, d’après le dossier du Centre spécial stellaire des archives, Frédéric est mort célibataire et sans descendance. Pas mieux en ce qui concerne celui d’Armance ! Sa fiche de cristal-mémoire ne contient que ces mots : « existence incertaine », d’où sa plongée vers l’invisibililité. La multiuniversale Marzolf – c’est comme une multinationale, mais en plus grand ! - a dû commettre une boulette, en forçant  sur les rayonnements filtrants. Résultat : il y a des blancs dans le schéma génétique d’Armance. Bref : le compte à rebours a commencé. Il faut réparer la chaîne des générations avant que l’existence d’Armance ne soit définitivement jetée aux oubliettes de l’Histoire. Pour remonter à la source exacte de l’erreur, direction la Terre donc, en 1686, et plus exactement la Forêt-Noire, pour que ses ancêtres se rencontrent et fondent une lignée qui aboutira, des dizaines de générations plus tard, à notre héroïne. On est encore au début du roman et une série d’aventures décoiffantes, mêlant une malfaisante concurrente,  une irrésistible créature androgyne et télépathe et même Cendrillon, entraînent Al et Armance dans leur tourbillon.

Je n’existe plus explore en finesse des thèmes forts comme le souvenir, la nature des liens qui nous unissent et l’empreinte qu’on laisse.