« Si seulement ma famille était une famille comme les autres » ! Cette phrase, de nombreux jeunes comme Marinka, 12 ans, l’héroïne de La Maison qui parcourait le monde, se la sont dite un jour, en se sentant soudain étrangers à leur environnement. Mais la jeune fille rousse est dans une situation inhabituelle ! Sa famille se résume à une très très très vieille grand-mère – Baba a bien cinq cents ans ! - un choucas apprivoisé nommé Jack et… une maison qui est  nomade mais pas à la façon des mobile home : elle est munie de pattes de poulet qui lui servent à se déplacer au gré de leurs missions. Car l’occupation de l’aïeule de Marinka sort de l’ordinaire : elle est Gardienne de la Porte entre ce monde et l’autre monde. Quand le moment est venu pour eux de quitter leur vie terrestre, c’est elle qui aide les Morts à entreprendre leur dernier voyage.

Et le destin de Marinka est tout tracé : prendre la relève et devenir à son tour passeuse entre ici et l’au-delà. En attendant, chaque soir, l’ado installe une petite barrière faite d’os et de crânes, pour montrer le chemin aux morts et, au contraire, dissuader les vivants de s’en approcher. Chaque soir, quand la nuit tombe, les Morts s’approchent de la Maison qui marche. Ils sont alors hésitants et désorientés. Mais très vite, les voilà rassurés et réchauffés quand ils trouvent dans la maison un accueil chaleureux avec nourriture et boissons, ainsi qu’un bon feu de cheminée. La Maison vit pour les morts, et la grand-mère aussi.

Les autres voient en elle une horrible sorcière. Pourtant même si on ressent de l’angoisse et une certaine peur par moment, on comprend vite, comme Marinka, que l’ancêtre « est belle quand elle danse parmi les Morts et leur apporte réconfort et joie ». Elle  leur joue de la balalaïka et leur offre des bortschs et autres tourtes farcies  aux noms slaves qu’elle a cuisinés avec amour pour eux. Bref : elle fait la fête aux défunts et les aide à franchir le pas. C’est une baba Yaga, comme dans le conte russe, dont tout le roman revisite l’histoire intemporelle, en la mêlant aux aspirations très actuelles de la jeune héroïne, au seuil de sa vie.

Car Marinka rêve d'un autre destin. Elle est démangée par des idées d’évasion, attirée par le monde des Vivants, les lumières qui étincellent au fond de la vallée et « une infinité de possibilités ». Pourquoi ne pourrait-elle pas, comme les autres, choisir sa vie, jouer avec des amis de son âge ou aller au théâtre ? Les humains sont-ils conformes à ses rêves ? Est-ce que l’un de leurs représentants, Benjamin, qui débarque un jour près de la maison avec un agneau nouveau-né caché dans son manteau, et qui lui aussi, a bien du mal à s’intégrer, va l’aider à changer de vie ? Marinka peut-elle suivre sa propre voie sans que tout déraille, sans que sa culpabilité lui transperce le cœur comme un poignard ?

​

Ce roman fantastique au souffle épique par instants traite avec une délicatesse consolatrice de thèmes fondamentaux comme la mort et le deuil, le désir d’être qui l’on veut, le chagrin de la perte. Lors de leur ultime étape, à la Maison de baba Yaga, « les Morts se rappellent leurs fiertés et leurs joies, et se lamentent de leurs peines et de leurs regrets », mais quand enfin, ils plongent dans le noir, c’est le sourire aux lèvres, calmes et apaisés. « Ce qui compte, ce n’est pas la longueur d’une vie, mais sa douceur ».