Plantons le décor : Laitham, adorable petite ville paisible sur la côte brumeuse de la Nouvelle-Angleterre. Ça, c’est pour le côté face, côté humains. La carte postale est jolie quoiqu’atrocement ennuyeuse. Mais côté pile, la bourgade endormie est le royaume des créatures de la nuit. Vampires, métamorphes, sirènes y rêvent 

d' «arracher un bout de votre âme pour en faire de la confiture » ! Pour être honnête, tous ne sont pas aussi morbides. Ainsi Ailis, l’héroïne de ce roman graphique, a tout d’une ado normale, comme ceux que l’auteure a croqués dans sa série Opération survie au collège : les réveils difficiles, l’appétit d’ogre, la tignasse emmêlée et les problèmes de popularité. Sauf qu’Ailis est une weirn, c’est-à-dire une sorcière liée à la vie à la mort à un astral, démon au visage rond et blanc, qui flotte à ses côtés dans un halo de fumée noire et duveteuse, avec ses longs bras et son affectivité débordante. Il la protège en cas de coup dur. C’est hilarant de voir Ailis et son astral se faire un check tels deux ados quelconques quand l’étrange ange gardien dégomme sec le loup-garou du coin un peu trop collant ! C’est d’ailleurs la rencontre entre un univers adolescent actuel et l’imagerie fantastique des magiciens qui est réussie.

La grand-mère d’Ailis a par contre vraiment le profil type d’une vieille sorcière, nez crochu et menton en avant. Elle n’a rien d’une mamie gâteau. Certes, elle offre à Ailis un pain au chocolat au p’tit-déj’, mais après lui avoir signifié, pour lui gâcher la fête et la dégoûter d’y croquer, qu’elle l’a léché auparavant ! Autre détail un peu spécial (mais pratique) : quand la balle de base-ball casse un carreau, pas de panique car dès la maternelle, les weirns apprennent le sort de réparation. La vitre est réparée plus vite que dans une pub à la radio.

Evidemment, comme la bourgade, sous des dehors tout ce qu’il y a de plus normal à la lumière du jour, leur école de sorciers se révèle à la nuit tombée. Ses murs, ignifugés afin d’amortir les sorts mal dosés, s’écartent pour laisser la place à des caves à cristaux en cours d’alchimie et à des marécages pour la cryptozoologie. Pourtant, ça n’empêche pas Ailis et sa bande de trembler de peur, face à la longue silhouette au masque blanc craquelé et aux doigts griffus qui les suit ces derniers temps. Sur la route de l’école, le vieux manoir abandonné abritait jadis l’école du bois silencieux. Des rumeurs courent. Sa directrice avait fait la Une après la disparition inexpliquée de plusieurs élèves. Est-ce que cela aurait un rapport avec la nouvelle personnalité, bizarrement amicale, de la pire peste du lycée ?

Si les apprentis ensorceleurs eux-mêmes ont des frissons, on imagine l’état des lecteurs !