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  L'interview d' enfantillages ! 

écoutez !

Katherine Rundell

12 juin 2019

Chronique des livres
de l'invitée
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Katherine RUNDELL est romancière, dramaturge et éditrice. Elle a reçu, Outre-Manche, le prestigieux prix Costa. Ses héros sont des enfants épris d'absolu et de liberté, qu'ils recherchent leur mère naufragée en marchant sur les toits de Paris, protègent les loups en Russie ou tentent de survivre au plus profond de l'Amazonie comme dans son dernier opus, L'Explorateur, qui paraît chez GALLIMARD JEUNESSE. Elle enseigne Shakespeare à Oxford et comme ses illustres prédécesseurs dans cette vénérable institution, C.S. Lewis, Tolkien ou Lewis Caroll, elle porte haut le flambeau des livres pour enfants. 

De la littérature jeunesse considérée comme une vodka...

Katherine RUNDELL, quelle enfant lectrice étiez-vous ?

Enfant, j’étais le genre de lectrice pour qui la lecture, c’est comme de la nourriture. La seule chose que je voulais faire, c’était lire des livres, me plonger dans ces univers. Les livres que je préférais, c’étaient des livres d’aventure, sur le fait d’être courageux, C. S. Lewis par exemple, ainsi que Harry Potter ou un livre qui s’appelle Ma sœur est une sorcière de Diana Wynne Jones. Je lisais au moins deux ou trois livres par semaine. Quand vous êtes gamine, vous ne pouvez pas vous empêcher de lire, vous commencez et vous ne pouvez pas vous arrêter, vous lisez toute la nuit. Parfois, ça pouvait être deux livres par jour.

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manger une tarentule en direct comme vos personnages. Les sons, les sensations tactiles, visuelles, olfactives, gustatives,  de la jungle sont très précises et quasi invasives pour le lecteur : comment avez-vous procédé pour transcrire cela ? Etait-ce juste une reconstruction de vos propres souvenirs sensoriels ?

Quand je suis allée dans la jungle amazonienne, j’avais tellement envie de donner aux enfants un petit aperçu de sa beauté ! Ce que je faisais, c’est qu’à la fin de chaque journée, je prenais des notes. J’écrivais ce que j’avais vu, goûté, senti. J’avais 147 piqûres de moustiques. Je voulais vraiment que le lecteur puisse ressentir toutes ces choses-là, agréables ou pas, pour que ça reste vivant.

Le personnage de Connie, qui est une jeune ado un peu écorchée vive et très pince-sans-rire dit, au tout début du livre, juste après le crash : « Statistiquement, il est probable qu’on meure », et elle précise : ce sont «  juste quatre enfants. Dans la forêt amazonienne ». .

Fan club

 

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On vous gâte :

voici en  bonus l'interview in extenso de votre auteure, sans les coupures des rubriques de  l'émission de radio. 

ENFANTILLAGES !

 

d’enfants qui me disent «  je suis Lila ».

Les ligues de protection des animaux peuvent vous tomber dessus car même si elle vit au Brésil, elle emmène le paresseux, ce qui n’et pas tout à fait écologiquement correct.

(Rires). Ce son les années 20. C’est vraiment de la fiction. N’essayez pas de faire ça vous-mêmes les enfants.

Vous  avez passé dix ans de votre enfance en Afrique au Zimbabwe. Aviez-vous suffisamment de livres là-bas ?

 

Ce n‘était pas facile de trouver des livres au Zimbabwe mais mon papa était diplomate donc les livres arrivaient avec la valise diplomatique. Il y avait aussi des bibliothèques qui étaient pleines de livres centenaires souvent un peu désuets, sur le cheval ou les bonnes manières, par exemple comment être assise correctement.

 

Vous évoquez, dans L’Explorateur, en comparaison des oiseaux multicolores, non pas du Zimbabwe mais  de l’Amazonie, ces oiseaux anglais  qui « ont l’air habillés pour un entretien d’embauche ».  En quoi ce retour dans la grisaille, en Europe, a-t-il constitué pour la jeune ado que vous étiez un choc culturel ?

C’était un sacré choc, comme de pénétrer dans un monde nouveau, un monde inconnu. Maintenant, l’Europe m'est familière mais à l’époque, je trouvais qu’il faisait froid. J’avais besoin de porter des chaussures et surtout, il n’y avait pas de singes !

Vous avez raconté que vous aviez une façon assez originale de commencer la journée, en faisant la roue, et vous avez comparé cela à la lecture. Pouvez-vous expliquer cela ?

J’adorais vraiment la gymnastique et je me réveillais vraiment très tôt, à quatre heures du matin, parce que j’avais deux boulots. J’enseignais Shakespeare à Oxford. Pour m’empêcher de me recoucher et me réveiller totalement, je faisais la roue. J’ai comparé ça à la lecture parce que quand vous lisez, ça met le monde à l’envers et ça vous laisse émerveillé, comme quand on fait la roue.

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Chacun à sa façon, les quatre enfants de l’Explorateur ont d’infinies carences affectives, ayant des parents froids au point de trouver le fait de faire un câlin « trop inconvenant et anti-hygiénique »  et vous évoquez les coups de cannes reçus au collège qu’on imaginait jadis faire partie de l’éducation à l’anglaise ? Avez-vous croisé de tels enseignants, de tels parents ?

Au Zimbabwe, on élevait les enfants comme dans les années 50. Les gens étaient froids. Il fallait être très formel et puis, juste, mettre des baffes ! La mienne d’enfance n’était pas comme ça ! Mes parents étaient aimants et leur envie de nous faire connaître l’aventure était féroce. Ils nous encourageaient à sortir, à explorer. Quand j’ai écrit ce livre, je voulais qu’on voie une autre façon d’élever les enfants, celle de l’Explorateur.

Est-ce bien vu, à Oxford, au milieu de vos éminents collègues,  d’être une auteure de littérature jeunesse ?

Je récolte quelques sourcils relevés mais il y a une telle tradition d’auteurs pour la jeunesse à Oxforf, D S Lewis, Tolkien, Lewis Caroll, qu’ils se disent que cela fait un peu partie du patrimoine.

Revenons à L’Explorateur. Vous avez vous-même séjourné en Amazonie et vous avez été, lors de la sortie du livre en Angleterre, jusqu’à

Certains pensent qu'être adulte, c'est un acte d'oubli.

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Quel intérêt narratif ou humain cela représentait-il pour vous de mettre en scène quatre enfants, dont un très petit, de cinq ans, confrontés  à une menace de mort imminente, et sans possibilité de happy consolateur puisque comme Connie le dit aussi, « on n’est pas dans un conte de fées » ?

Ce que je voulais reconnaître, c’est  que la vie peut être terrifiante et que ce que nous tentons de faire, en vivant, c’est de construire quelque chose. Et ces enfants le font littéralement. Ils doivent construire un endroit pour dormir, pour survivre. Je voulais qu’on ressente le danger sans que ce soit trop sombre pour un lecteur de 8, 9 ou 10 ans. J’adore l’idée que les enfants sont héroïques. Les enfants supportent tant de choses ! On ne reconnaît pas toujours à quel point ils sont résilients et aussi sauvages. Quand on écrit là-dessus, on peut montrer la vérité cachée des enfants. Toute mon enfance, j’avais une envie terrible qu’on me lâche justement dans la forêt amazonienne ! Je voulais savoir si je survivrais.

L’Explorateur lorsqu’il apparaît semble avoir une vision très réductrice de l’enfance puisqu’il estime que les enfants, «  c’est juste des adultes pas cuits ». Pourquoi avoir mis en scène un tel adulte ? rencontrez-vous des gens comme cela ?

Il y a toujours des gens qui considèrent que le fait d’être adulte, c’est un acte d’oubli. Surtout ne pas penser à ce que c’était d’être jeune et vulnérable car pour eux, l’essentiel, c’est de ne plus être vulnérable. Je voulais montrer quelqu’un qui commence par s’exprimer de cette manière mais qui à la fin du livre, aurait acquis une vision différente.

Vous écrivez, vous faites la roue en vous réveillant, vous marchez sur les toits. Alors, qu’est-ce, à vos yeux, qu’un « risque raisonnable » ?

La plupart des risques sont raisonnables selon moi. S’il y a un problème, vous n’allez pas mourir. Par exemple, j’adore grimper sur les toits, mais je n’irais pas dans un endroit où un simple hoquet provoquerait ma mort. Le plus grand risque que j’ai pris, c’était dans l’Amazone. On nous avait dit qu’on pouvait nager, que ce n’était pas dangereux, même s’il y avait des piranhas dans l’eau parce que les courants étaient si rapides qu’ils ne pourraient

pas nous mordre. Le truc, c’est qu’il y avait aussi plein de dauphins. On avait le choix entre risquer d’ être mangés et nager avec les dauphins. Alors, on s’est jetés à l’eau et on a nagé.

C’est très beau d’ailleurs. Vous parlez des dauphins comme de dieux blessés ; de dieux meurtris. Vos personnages font preuve d’une très grande empathie envers le règne animal. Est-ce quelque chose qui vous est cher ?

Oui. Je voulais qu’il y ait un personnage dans le livre qui aime les animaux plus que tout parce qu’il y a tellement d’enfants comme ça, vraiment passionnés par les animaux. Lila, par exemple, adopte un petit paresseux qui lui lèche l’intérieur du nez. Je reçois parfois des lettres

L’Explorateur se rappelle quand il prenait son train le matin sans même penser à la beauté de l’Amazone et cela le révolte. Cette pensée peut-elle soudain vous submerger ?

Oui. Absolument. Très souvent quand on écrit, les réactions des personnages par rapport au monde, ce sont forcément les vôtres. C’est forcément vous, étant donné que le seul cœur que vous connaissez vraiment à fond, c’est votre propre cœur.

Un personnage de L’Explorateur le dit : il faudrait rayer le mot

«  simple » du vocabulaire car «  tout est d’une complexité infinie ». Est-ce votre sentiment ?

C’est vraiment ce que je voulais dire. On veut que les choses soient simples parce que ça semble idéal mais si on peut accepter que rien ne l’est, alors le monde devient quelque chose d’infini qu’on peut explorer indéfiniment.

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On doit tenir le discours de la complexité aux enfants ?

Lorsque les gens pensent à  la littérature jeunesse, ils pensent qu’on enlève de la complexité. Moi, je pense que ce qu’on fait, c’est qu’on distille cette complexité. La littérature jeunesse c’est la littérature vodka ! Les enfants ont besoin qu’on leur dise que le monde est complexe sinon ils vont penser qu’on leur ment quand ils sont  face au monde tel qu’il est.

«  Quand on croit que le monde est petit et minable, c’est plus facile de l’être soi-même ». Au contraire, la beauté du monde nous oblige ?

 

Si vous croyez dans la beauté du monde, il faut en être digne. C’est le message que je voudrais que les enfants retiennent. Le monde dans lequel nous vivons est remarquable.

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Nous n’avons vraiment pas le choix. Nous devons être aussi remarquables que lui.  Ce que je dis dans le livre, c’est qu’explorer ça peut être découvrir le côté sauvage du monde, l’inconnu mais ça peut être aussi le fait de voir son proche chez-soi avec un regard nouveau. J’aimerais vraiment que les enfants voient clairement le monde. S’ils vivent en ville, la beauté des immeubles, le mouvement d’un écureuil par exemple. Mais aussi explorer sa propre imagination, que ce soit dans les livres ou ailleurs. Accorder de l’attention au monde, c’est si proche de l’amour qu’on a du mal à distinguer les deux. Si nous faisions tous attention à ce que nous faisons, politiquement, moralement, intellectuellement, dans l’amour, c’est comme cela que nous pourrions avancer. Les enfants ont cela naturellement. Ce sont les adultes qui ont besoin d’un peu d’aide pour y parvenir. J’écris pour les enfants mais j’écris aussi pour les adultes qu’ils deviendront.

Propos recueillis par

Florence Dutheil

L'Explorateur

De Katherine RUNDELL, illustré par Hannah HORN, Grand format Littérature, Romans Junior, GALLIMARD JEUNESSE, dès 9 ans.

Coeur de loup

De Katherine RUNDELL, illustré par Gelrev ONGBIC, traduit de l'anglais par Emmanuelle GHEZ, Folio Junior, GALLIMARD JEUNESSE, dès 10 ans.

Rêve de Noël

De Katherine RUNDELL, illustré par Emily Sutton, Emmanuelle GHEZ, Albums Junior, GALLIMARD JEUNESSE, dès 8 ans.

le ciel nous appartient

De Katherine RUNDELL, illustré par Antigone KONSTANTINIDOU, traduit de l'anglais par Emmanuelle GHEZ, Folio Juinor, GALLIMARD JEUNESSE, dès 11 ans.

Why You Should Read Children's Books

De Katherine RUNDELL, Bloomsbury Publishing (à paraître en août).

Coeur de loup

De Katherine RUNDELL, illustré par Gelrev ONGBIC, traduit de l'anglais par Emmanuelle GHEZ, Folio Junior, GALLIMARD JEUNESSE, dès 10 ans.

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