Amoureux et mathématiques, un oxymore ? D’un côté les feux de la passion et de l’autre, un art froid et raisonnable, où aucun sentiment, aucune émotion n’a sa place et zéro passerelle entre les deux ? Faux, archi-faux : deux mordus des maths, le célèbre vulgarisateur et youtubeur Michaël Launay et celui qui fut son professeur, André Deledicq, le créateur du concours Kangourou,  relèvent le pari un peu fou de démontrer que les mathématiques sont « vivantes et jubilatoires ». Ce langage de l’univers est  même « un formidable domaine de création » alliant cohérence et élégance, un apprentissage de la curiosité et du respect et – mais oui ! – une culture du plaisir.

«  Les mathématiques ne sont pas une moindre immensité que la mer », écrivait Victor Hugo. Les 730 pages de ce dictionnaire amoureux  nous entraînent dans les vastitudes du grand roman des mathématiques – titre d’un ouvrage précédent de Michaël Launay -, roman dont les héros sont des concepts, nombres, figures, démonstrations, théories ou conjectures. Mais oui, il y a de la beauté dans les équations, et de la poésie à prendre des chemins compliqués au lieu d’aller droit au but ! «  Les maths, promet le duo au premier article de ce Dictionnaire, la lettre A,  sont une source inépuisable de « Aha ! ». Ainsi, quelques pages plus loin, voici les abeilles, géomètres nées. Leurs fabuleuses facultés, dans la cartographie comme dans l’architecture, intriguent les humains depuis l’Antiquité. C’est qu’elles ont mis au point un véritable système GPS : en exécutant une chorégraphie, dont la plus célèbre est la danse en 8, les butineuses indiquent avec précision à  leurs sœurs les coordonnées polaires (angle et distance), la position géographique, la nature et l’abondance des pollens. Et pourquoi des alvéoles hexagonales dans leurs ruches ? Parce que c’est la forme la plus économe en cire pour sa construction - on ne le découvrira qu’au XXIe siècle.

Quelques pages après, on joue avec des allumettes : saurez-vous faire cinq carrés avec six allumettes, quatre triangles avec le même nombre d’allume-feux, sans en casser aucun ? Plus loin, on découvre sur cinq pages le plus grand nombre qu’il est possible d’écrire en lettres en français : neuf cent quatre-vingt-dix-neuf centilliards neuf cent quatre-vingt-dix-neuf centillions etc ou 10 puissance 606 -1. Et aussi pourquoi la perfide Albion se démarque (comme toujours !) en n’adoptant pas la même échelle que la France et la plupart des pays, celle du Bureau international des poids et mesure : d’où leurs pouces, leurs miles, leurs degrés Fahrenheit mais aussi leur billion qui vaut mille fois moins que le nôtre et embrouille toutes les communications économiques, politiques ou scientifiques. Encore plus loin, on calcule le poids probable d’un Lilliputien, soit 12 x 12 x12, c’est-à-dire 1728 fois moins qu’un homme de la taille de Gulliver. Et puis, comment ne pas rester bouche bée devant le principe de récurrence. Si je dis successivement « il ne faut jamais mentir (car l’éternité n’appartient qu’aux honnêtes gens) » et « je répèterai cette phrase demain», je suis condamné à mentir, car nos jours sont comptés et le dernier arrivera fatalement, rendant impossible l’accomplissement de la prophétie.

​

Alors, oui, on ne va pas se mentir, si certains articles de ce Dictionnaire amoureux se lisent facilement même si l’on n’a pas la bosse des maths, pour beaucoup d’autres, il faut s’accrocher et leur dégustation est réservée aux fins connaisseurs. Mais quelle joie de voir cette discipline synonyme de triage des bons élèves et des mauvais, et qui donne à beaucoup la migraine, retrouver un peu de sa fraîcheur et de son exubérance grâce à ce bon gros pavé !  

Retrouvez ma chronique sur Le Théorème du parapluie de Michaël Launay.

​

​