enfantillages !
Le magazine des livres pour enfants & ados qui s'écoute et qui se lit
Quelles nouveautés jeunesse ? Quel livre pour mon enfant, mon ado ?
Connaissez-vous enfantillages ?
C'est un magazine consacré à la littérature jeunesse présent sur les ondes, via une émission bimensuelle sur Fréquence Protestante - un mercredi sur deux à 14 heures - et sur les internets, via des podcasts sur les principales plateformes et un webzine. Enfantillages mêle des chroniques - dont celle du plus jeune journaliste littéraire de France, Rémi - des reportages sur tous les lieux où l'amour des livres résonne et des interviews de grands auteurs et illustrateurs : Susie Morgenstern, Albertine, Timothée de Fombelle, Grégoire Solotareff, Muriel Szac, Douglas Kennedy, Tahar Ben Jelloun... ils sont une cinquantaine à être venus parler de cet éblouissement des lectures enfantines.
Les coups de cœur d' Enfantillages !
Tout nouveau tout beau
Que faire ? Crier plus fort que le bruit ?
Et aussi sur anchor, apple podcast, spotify etc
24 juin 2020
Voyage au pays des monstres et des filles puissantes
Retrouvez la chronique de Rémi Mon livre préféré sur De l'autre côté du pont de Padma VENKATRAMAN, collection Médium, éditions de l’École des loisirs, dès 11 ans.
Illustration de François PLACE en fond d'image extraite de Alma - Le Vent se lève de Timothée de FOMBELLE (GALLIMARD JEUNESSE)
La Maison des monstres
De Léopold CHAUVEAU, éditions Musée d’Orsay/Réunion des musées nationaux-Grand Palais, dès 5 ans.
Le musée d’Orsay a rouvert le 23 juin. Courez y admirer l’exposition sur Léopold Chauveau, Au pays des monstres ! Médecin, sculpteur, illustrateur et auteur, il a créé avec obstination un bestiaire de monstres attachants, qui le disputent aux gargouilles médiévales comme aux kappa et autres yokai japonais, et que l’on retrouve dans une série de publications pour la jeunesse.
A commencer par La Maison des monstres. Nous y sommes accueillis par le concierge au sourire torve pour admirer une collection de 64 specimens dessinés à l’encre d’un trait synthétique, précis et incisif à l’encre entre 1910 et 1919. Quelle expressivité, quelle humanité dans ces centaures à l’unique jambe, gnomes contorsionnistes et autres créatures toutes en griffes et en bosses, désarmantes dans leur nudité, comme éberluées d’être là !
Histoire du petit serpent
De Léopold CHAUVEAU, éditions Musée d’Orsay/Réunion des musées nationaux-Grand Palais, dès 5 ans.
Connaissez-vous la différence entre les histoires en autobus et les histoires à pied ? Ces dernières sont improvisées : c’est comme « une promenade à pied. On part en donnant la main à son papa, on le fait aller où on veut … Quand il va trop vite, on le retient… On lui demande toutes sortes d’explication. » Au contraire, une histoire en autobus est imprimée. Elle a « un parcours fixe, passe toujours par les mêmes rues… On y peut rien changer, et quand on est arrivé au bout de la ligne, il faut descendre » et si l’on refait le trajet, « c’est encore la même chose ». L’Histoire du petit serpent appartient à la seconde catégorie. Ce qui n’ôte rien à l’exquise liberté de ce petit conte que n’aurait pas renié le Kipling des Histoires comme ça. On y apprend que la colère d’une mère peut tout, y compris provoquer une mutation chez les reptiles ou donner le secret de l’intelligence légendaire des éléphants. Un album en deux parties, à lire seul ou à deux.
Au pays des monstres - Léopold Chauveau (1870-1940)
Exposition jusqu’au 13 septembre 2020 au Musée d'Orsay
62, rue de Lille
75343 Paris Cedex 07
+33 (0)1 40 49 48 14
Voyage au pays des monstres
De Claude PONTI*, éditions de l'Ecole des Loisirs, dès 5 ans.
Il nous a réjouis pendant le confinement avec ses « chozafères », trompe-l’ennui pour que chacun crée son « album perso à toi tout seul et à personne d'autre ». Voici que Claude Ponti rend hommage à Léopold Chauveau en une histoire en autobus, à prendre au sens propre, puisque ses personnages prennent place à bord d’un bus, destination petit (Père) Renaud, titre originel des Histoires de Chauveau. Sa suspension est si souple que c’est à se demander « s’il a des roues ou s’il flotte sur des nuages moelleux » et il nous embarque « joyezému(s) » dans une virée poétique et barrée, hautement référencée, où l’on parle le Desnos dans le texte. Quel génie ce Ponti, de parvenir à nous faire rire puis à nous émouvoir aux larmes dans le même souffle, avec ces monstres qui « se fabriquent à l’intérieur d’une personne tout doucement sans faire de bruit » et « réfléchissent, rêvent, plaisantent, consolent ceux qu’ils habitent », tels « l’Effassenssonge » et son comparse
« Louramour », qui remplit ses joues avec les amours de son hôte, amours « lourdes ou légères, heureuses ou cruelles, vivifiantes ou mortellles ».
* Claude Ponti était l'invité d'enfantillages !
Retrouvez notre entretien ici.
Le Mangeur de marmots malpolis
De Catherine LATTEUX, illustré par Jess PAUWELS, éditions LITTLE URBAN, dès 6 ans.
« Bla bla bla. Et patati et patata. » Manon n’arrête pas ! Cette histoire de Croc-M, censé faire taire les logorrhées enfantines, elle n’y croit pas du tout. La voici pourtant conduite par ses géniteurs excédés chez cet expert en brochettes de mômes et autres mouflets vapeur. Qui, d’après vous, de la pipelette en couettes ou du yéti anthropophage, aura le dernier mot ?
La Fabuleuse Histoire de Feuille et Mange-tout
D’Aurélia GRANDIN, éditions IRFAN LE LABEL, dès 5 ans
Feuille est une petite orpheline qui vit au bord de l’océan avec sa marraine et son vieux chat Goémon. Leur minuscule maison est nichée à l’orée d’une forêt où jamais personne n’a osé s’aventurer car chaque nuit s’en échappent des bruits bizarres, terrifiants et des grognements féroces. « Que faire ? Crier plus fort que le bruit ? ». Evidemment, les voilà partis.prêtes à en découdre avec tous les ogres et oiseaux-plumes de la Création. Les pages explosent de couleurs et de matériaux texturés, sable, tissus, broderie. C’est inventif et très beau.
Les Pointes noires à l’Opéra
De Sophie NOËL, éditions MAGNARD JEUNESSE, dès 8 ans.
Sur la cloison de sa chambre d’internat, Eve a accroché un poster de Misty Copeland, la première Afro-américaine nommée première danseuse de l’American Ballet Theater en 2015. Comme son idole, la jeune danseuse de l’Opéra s’est promis de démontrer « au monde entier qu’une fille noire peut devenir une grande danseuse ». Ce roman nous fait pénétrer dans les coulisses de la vénérable institution, temple du style français « tout de rigueur et d’élégance » où l’on salue les adultes d’une révérence. Derrière la grâce et le glamour,
« une espèce de jungle, où c’est chacun pour soi », comme à l’orphelinat du Mali où Eve a été adoptée.
Pas de boom ni de bowling comme les autres ados, par crainte de la blessure, de la fatigue, ou même des sodas qui peuvent causer le renvoi si lors de la visite médicale, quand on vous pince la peau en-dessous de la taille, il y a du gras. Il faut batailler dur pour rester être l’un des 130 élus. Eve est prête à repousser toujours plus loin ses limites. Elle accepte la souffrance et continue de sourire même si ses pieds sont en sang et son moral en lambeaux, enduisant sans faire de vagues ses chaussons roses de fond de teint pour qu’ils soient raccords avec sa peau. Ira-t-elle jusqu’à accepter de figurer parmi les blancs grimés pour avoir l’air « exotiques » de la Bayadère ? Ce roman prouve que le chemin est encore long jusqu’à la complète visibilité.
Alma - Le vent se lève
De Timothée de FOMBELLE,* éditions GALLIMARD JEUNESSE, dès 11 ans.
Enfantillages piaffait d’impatience : nous avons enfin reçu Alma– le vent se lève, le dernier roman de Timothée de Fombelle, auteur majeur qui était à Noël notre invité exceptionnel. Retardée par la pandémie, la parution d’Alma arrive à point nommé alors que la planète entière pose un genou à terre pour exiger l’examen de la question noire. Alma - Le vent se lève est le premier tome d’une trilogie placée sous la tutelle de Beloved, le roman du Nobel de littérature Toni Morrison, dédié aux « soixante millions et plus » d’Africains et leurs descendants, victimes de la traite négrière. Dans ce roman-fleuve, illustré comme à l’accoutumée par François Place, Timothée de Fombelle renoue avec le souffle et la puissance narrative de ses grands livres-mondes, Vango, Tobie Lolness ou Le livre de Perle. Les destins individuels s’y entremêlent avec brio sur fond d’Histoire avec un grand H. L‘écriture en est ciselée, à la fois ample et subtile, aussi précise dans le détail historique que dans l’exploration des méandres de la psyché humaine.
Alma débute dans une vallée africaine enclavée, pareille à une main géante, où l’héroïne éponyme, dont le nom signifie « libre » en langue oko, a vu le jour il y a treize ans. La jeune fille y vit depuis avec les siens « assommés de bonheur », à l’abri du monde. Mais « même au paradis, il faut bien raconter des histoires et inventer d’autres mondes aux enfants ». Alors Alma les a imaginés pour son petit frère, et semé en lui le désir de « passer de l’autre côté, sortir de la vallée et voir enfin ce qu’il y a ». En 1786, dehors, c’est le bruit et la fureur du commerce triangulaire, l’Atlantique fendu par des prisons flottantes aux centaines de captifs entassés à trois par mètre carré, après avoir été négociés dans les forteresses de la côte africaine, hommes, femmes, enfants échangés contre du café, du coton et du sucre, que d’autres esclaves ont payés « de leur sueur et de leur sang » . A chaque pointe du triangle sanglant de ce commerce d’êtres humains, Timothée de Fombelle a placé les protagonistes de son roman. Alma donc, et son peuple, livré par des chasseurs d’hommes achetant leur propre survie de la vente du village voisin, mais aussi les armateurs de la Rochelle, qui s’enrichissent de cet épouvantable négoce dans le confort douillet de leur hôtel particulier, et, entre eux donc, l’équipage du navire négrier aux soutes chargées de sa « barbare cueillette ». Le « chapelet des tragédies de la traite » est infini. Timothée de Fombelle dit avoir porté en lui ce livre « pendant près de trente-cinq ans, comme un territoire d’imaginaire, puis comme une obsession ». Il est, dans Alma, au sommet de son art. Toutes les âmes y ont un secret et s’y débattent dans « un espace très mince, situé exactement entre l’espoir et le désespoir ».
* Timothée de FOMBELLE était l'invité d'enfantillages ! Retrouvez notre entretien ici.