Imaginez le cauchemar : collé un samedi matin au CDI slash salle de retenue avec le caïd du collège et ordre de rédiger sur place, sous les yeux du dirlo, une dissertation de 1000 mots, - sous peine, en cas de non exécution, de voir la punition reconduite tous les samedis jusqu’à la nuit des temps (enfin la fin de l’année quoi) ! Sujet : expliquez qui vous êtes et pourquoi vous méritez d’être puni. Décidément, les habitants de la vallée des Mitaines ont beau être des animaux, ils font vraiment tout comme les humains, y compris les débuts de week-ends tout pourris. Pas tout à fait quand même car si chez nous l’adolescence rime avec « les poils ou les seins qui poussent, la peau et les cheveux gras », chez les Mitaines, chacun obtient à cet âge pivot un pouvoir magique « qui le change à jamais », ce qui est quand même nettement plus sympathique (et pratique).

Puisque les voilà tous dans la même barque, si l’on peut dire, les cinq collégiens sont bien obligés de composer ensemble avec leurs différences. Céleste l’oursonne, as de la téléportation, est en mode bisounours : elle veut que l’univers entier vive en harmonie et que tout le monde se prenne la main. Ce qui n’est pas précisément le cas de son voisin Caïus, « chat angora aussi blanc que ses idées [sont] noires », teigneux récidiviste qui s’en prend aussitôt au minuscule souriceau Prosper pour lui piquer son goûter. Ce qui a le don d’exaspérer Angus Goupil, le fort en thème qui voudrait continuer en paix ses équations et son combat contre l’ultracrépidarianisme, vous savez, cette maladie contagieuse très en vogue sur les plateaux télé, qui consiste à donner son avis sur que ce qu’on ne connaît pas. Quant à Nocte la Gothique, impressionnante chauve-souris du nom de Stoker, comme le créateur de Dracula, elle n’est pas non plus d’humeur à se laisser marcher sur les ailes (qu’elle a d’ailleurs d’un très beau noir de jais).

Mais alors que l’ambiance tourne à l’orage, les voilà calmés net. Leur dimension spatio-temporelle mute subitement et ils se retrouvent tous prisonniers d’une geôle quantique aux murs en bulles magnétiques. Le moment idéal pour se livrer à quelques confidences à la faveur d’un jeu d’action ou vérité ou il n’y aurait que des cartes « vérité ». Le roman change alors de dimension. Quand on est confiné dans une sorte de boule de neige miniature qui risque à chaque instant de vous tuer en vous compressant jusqu’à l’écrabouillage, on ne fait plus de chichis et on se dit tout sans enjoliver…

Ce n’est pas la première fois qu’on rencontre Céleste, Prosper et Goupil. Ce dernier est carrément le héros à part entière d’une série à son nom, Professeur Goupil où ce solitaire invétéré tente d’apprendre à vivre avec les autres. Et avec l’ourse et la souris, il apparaît en second plan dans la série source de trois BD qui s’appelle aussi Le Temps des mitaines, qui se passe vingt après et dont le roman est donc le prequel. Ils sont les parents des protagonistes des trois tomes, polar avec disparition d’enfants pour le premier, chronique sociale pour le deuxième et folle histoire de bébés zombies vengeurs dans la toute dernière livraison.

Avec sa mairie en buste de Marianne, sa banque porte-monnaie et son mélange unique de loufoquerie, de surnaturel et de belle écriture, Le Temps des mitaines forme un univers fascinant et cohérent, à la fois très drôle – d’un humour ado souvent grinçant et défiltré - et profond, quand il s’intéresse à des thèmes aussi divers et poignants que la peur d’être rejeté, les petits producteurs asphyxiés par la grande distribution ou l’enfance maltraitée.