Couché sur un lit de mousse, au pied d’un chêne foudroyé, un nouveau-né au teint aussi sombre qu’une aile de corbeau sanglote de solitude et de faim. Il vient d’échapper à un acte ignoble, la tentative de meurtre par magie noire de son propre géniteur, qui lui dénie le rang d’être humain. Quelle entrée en matière haletante pour ce roman médiéval dont les héros sont des adolescents assoiffés d’aventure et de gloire !

C’est une fille, le prénom brodé sur ses langes l’atteste. La voici bientôt secourue par les chevaliers du Lac d’Argent et leurs écuyers, dix-huit filles et garçons, âgés de treize à dix-neuf ans, prêts à former le nouvel Ordre du Cygne. Mais entre leurs rêves et eux, « une montagne de règles, de contraintes, d’exigences » dictées par l’éthique sacrée de leur Fraternité, va mettre à l’épreuve leur bravoure mais aussi leur dévouement, leur sens de l’honneur, leur humilité et leur loyauté. A leur tête, Oswald de Hohen, géant charismatique, aux yeux saphir et aux longs cheveux onyx, fougueux comme son puissant destrier Mephisto, assène ses ordres d’une voix tranchante comme Nocturne, son épée au pommeau serti de pierreries noires. Le Grand Chevalier est aussi craint qu’admiré car s’il est intransigeant et impulsif, son cœur est bon et compassionnel,  franc et tout dévoué à la défense des plus faibles contre l’injustice et le mal. « Puisse dans mon corps pur, mon âme demeurer sans tache », a-t-il juré aux Immortels. Pourtant, Alix la teigneuse, son écuyère au fin visage volontaire sous un casque de cheveux à la garçonne, « âme ardente en prison dans un corps d’enfant », a bien du mal à le servir et à lui obéir. Il faudra du temps à ces deux écorchés vifs, finalement plus semblables qu’ils ne le croient, pour s’apprivoiser.

Car l’enjeu est de taille : les apprentis chevaliers seront-ils à la hauteur de leurs glorieux aînés, triomphant, sept ans plus tôt, au péril de leur vie – quarante-neuf gisants en témoignaient dans la crypte du palais - de leur ennemi de toujours, le royaume esclavagiste de Malebrume ? Sauront-ils arracher à la pointe de l’épée le sobriquet de chevaliers de camelote aux écuyers de pacotille dont les anciens, et parmi eux Walgrïn l’enchanteur, ont baptisé leur « chambrée de bleusailles » ? Pourront-ils défendre leur jeune souveraine aussi inexpérimentée qu’eux contre le féroce roi Drugon, colosse sans foi ni loi, son sorcier maléfique, Mnéfeth, « la pire âme des cinq royaumes » et des alliés prêts à toutes les trahisons contre des espèces sonnantes et trébuchantes ? Pour contrer des êtres aussi sanguinaires et dénués de la moindre humanité, l’ordre du Cygne soumet ses recrues à un entraînement physique et mental hors norme. Préalable indispensable pour acquérir l’Esprit de l’épée, degré de conscience et de concentration inconnu des autres mortels. Car Melchior le cygne télépathe de Walgrïn l’a annoncé avec certitude : une force obscure œuvre contre l’Ordre. « Un acte criminel, un esprit tordu, de la magie noire, c’est la signature de Mnéfeth ».

Joutes, banquets, scènes de batailles, pigeons voyageurs et gerfauts guerriers, mendiants estropiés et idéaux chevaleresques, on est bien dans le Moyen Age du cycle arthurien et des chansons de geste de Chrétien de Troyes. Mais avec ces animaux dénaturés en diaboliques machines à tuer par la sorcellerie, ce bébé prodige aux pouvoirs débridés, ces étangs noirs et ces bois décharnés, théâtres de fer et de sang pour les affrontements épiques des royaumes ennemis où il faut tuer pour ne pas l’être,  on est aussi chez Tolkien. Tout en créant un nouvel univers inédit et captivant.

Les personnages sont fouillés, on en apprend plus dans le deuxième tome sur les fantômes du passé et des indices disséminés çà et là sur une magicienne des Mille-Forêts, sur des alliances avec des sauvages nordiques, laissent entrevoir un troisième tome époustouflant.