A quel moment exactement passe-t-on de l’enfance à l’adolescence ? Est-on forcé, pour grandir, de trahir celui qu’on a été et de reléguer aux oubliettes ce qu’hier encore on aimait ? A ces questions, Rose et Arthur n’apportent pas la même réponse. Quand le garçon de 11 ans jure avoir aperçu « un sorcier dans le grenier de grand-père », sa jumelle, déjà plus engagée dans la pré-adolescence, hausse les épaules et commente d’un air blasé « les enfants ont beaucoup d’imagination », sans lâcher le smartphone où elle scrolle et like à longueur de journée d’insignifiantes photos de flaques d’eau ou de maquillage postées par des influenceuses.  Arthur, lui aussi,  se dit bien qu’il est trop vieux pour ces enfantillages et devrait « apprendre à faire du surf, du skate, ou la guerre sur l’ordinateur ». Mais quelque chose le retient de tourner la page. « Avant c’était génial », « mieux que génial (…) imaginaire ». Leur grand-père folledingue lui non plus ne veut pas laisser filer leur enfance. Il prétexte un réaménagement du grenier, qui implique de trier ce qu’on jette et ce qu’on donne, pour obliger les jumeaux désunis à plonger à nouveau dans leurs vieux jouets. Au fond d’une vieille boîte de Quality Street avec « l’image d’un soldat et d’une dame sur le couvercle », Arthur retrouve un vieux papier sur lequel il écrivit jadis, de son écriture enfantine, le mot « secret » mal orthographié. « C’est une carte faite à la main, couverte de minuscules dessins et de légendes », la carte du royaume de Groaar auquel on accède en criant          « Ecoutez-moi rugir ! ». Ce monde fictionnel, enfoui tout au fond de sa mémoire, reprend vie avec ses montagnes dentelées, sa côte parsemée de criques et de falaises, ses lacs scintillants et cascades d’eau turquoise, son effrayant château aux quatre tours noircies comme des branches calcinées, sa bande de petites filles féroces aux yeux durs comme l’acier et sa sirène sorcière aux cheveux bleus et au corps tatoué. Tiens tiens, tel un gardien du temple, un magicien ninja y a reconstitué dans une grotte un musée d’objets ayant appartenu à Rose et Arthur. Ce qui est fort dans le roman, et qui en fait tout le charme et l’ambigüité, c’est qu’on ne sait jamais si ce qui est raconté est purement le fruit de l’imagination d’Arthur, s’il « fait semblant » de croire à nouveau à son « méli-mélo de souvenirs » ou si vraiment, la fratrie est projetée dans des aventures héroïques… Si la cicatrice au poignet d’Arthur est juste la marque des dents de sa sœur ou bien, comme il le raconte au grand-père, une réminiscence de la morsure d’un dragon aux naseaux fumants et aux griffes tranchantes. Groaar, grand-père y croit dur comme fer et n’hésite pas à plonger littéralement tête la première dans le vieux lit pliant à l’odeur de moisi, qui fait office de portail interdimensionnel.  « Jeu est un mot pour désigner notre magie ». Voici Arthur et Rose immergés à nouveau dans le royaume perdu ! Il était temps, depuis trois ans et des poussières qu’ils avaient déserté leur monde imaginaire, tout s’est déglingué : les licornes ont disparu, Sissi la sirène a perdu la mémoire et un épouvantail psychotique à la tête d’une armée de clones zombies et de corbeaux fait régner la terreur. Chevauchant des dragons apprivoisés, Rose la pénible et Arthur le pacificateur triomphent de leurs pires cauchemars et apprennent à grandir sans nostalgie, en restant fidèles aux enfants qu’ils sont encore un peu. « Grand-père m’a dit, rappelle Arthur le narrateur, qu’avoir peur est le commencement des plus belles aventures ».